Avec Alex, je ne sais plus quand, on decide de grimper a la prochaine pleine lune la voie Le Peril Jaune. Je l'ai deja faite deja deux fois je crois pour la premiere moitie et au moins trois fois pour la deuxieme. Autant dire que je la connais bien. Son equipement est bon, son itineraire droit, elle est belle, son niveau n'est pas dur (TD) et elle a de l'ampleur et de l'ambiance (200m). Elle est sur le Baou de Saint-Jeannet, qui domine le village du meme nom. Le Peril Jaune dans le noir lunaire ? Le Peril Noir donc.

Ce mercredi etait jour de pleine lune. Mais la meteo etant mauvaise et Alex etant bloque a Saint-Cezaire, je motivais a l'arrache un collegue vencois, Christophe, pour la faire le lendemain, jeudi.

Hier donc, c'est parti. Il n'a jamais grimpe a Saint-Jeannet. Je ferai donc tout en tete pour eviter de trainer et de se perdre a la recherche de l'itineraire. On rejoint la grotte d'ou demarre la voie alors que le soleil se couche et eclaire la cote d'une lumiere douce et rose. 21h10. Je demarre. Un petit pincement au coeur tout de meme. Mais il y a encore un peu de lumiere crepusculaire pour que je n'ai pas besoin de ma frontale. C'est rassurant et c'etait prevu : une mise en marche progressive. Histoire de faire le moins de relais possible, j'ai pris ma 70m et j'enchaine L1, L2 et L3 en gerant le tirage. A R3, je fais relais et assure Christophe qui demarre alors que la nuit s'installe. Tiens, une voiture en stationnement a l'endroit ou la vue sur la face est la meilleure depuis la route qui va de Saint-Jeannet a Vence. Mouais... Tiens, une voiture avec un girophare. Et merde... Quelqu'un a du prevenir je ne sais qui qu'il y avait des lumieres dans la face. Lorsque Christophe me rejoint, on en discute. Les voitures s'en sont allees. Bon, de toute facon, on est la et on continue.

Il y a un bruit constant qui vient du fond du vallon. En fait, c'est etonnant la pollution sonore des voitures qui passent et repassent sur cette route. Les sons montent en plus. Je repars et enchaine L4 (avec sa traversee aerienne qui sans lumiere est somme toute moins impressionnante...) et L5 avec son superbe diedre. A la frontale, et parce que je connais bien la voie, pas de probleme majeur pour progresser. J'engage meme pour eviter le tirage (et parce que, encore une fois, je connais bien la voie et j'ai de la marge). Relais a R5. La lune s'est levee enfin. Mais a l'Est et notre voie est orientee a l'Ouest, nous ne profiterons donc de sa lumiere qu'au sommet. Il est dans les 23h. Toujours ce fond sonore penible. Mais, ayant pris de la hauteur, du relais, je profite pleinement des plateaux calcaires de l'arriere-pays vencois illumines par la lune. C'est paisible et... lunaire. Tiens... La voiture avec girophare est encore la a nous observer.

L6. Du relais R6, enfin, alors qu'il doit etre dans les 23h45, je peux entendre le silence de la nuit. Voila ce que je suis venu chercher : le calme, la douceur des couleurs et des temperatures, la vue extraordinaire. Le plus dur est fait. Ce sera une ascension reussie. Christophe en profite autant que moi. Cool...

12h30. Je suis au sommet. J'assure Christophe qui me rejoint. Tiens... Des voix. Le comite d'acceuil ! Forcement. Je m'en doutais. Des policiers municipaux qui vont nous sermoner ? Deux points lumineux. Je me signale. Trois. "Hep ! Par la !" Quatre. J'allume ma frontale. Je discerne... un pompier. "Ca va ?" "Euh... Oui. On grimpe de nuit avec un pote." Encore des voix ! "Mais... Vous etes combien ?" "Sept." Ah... Ouais, d'accord... Merde ! Il est 1h, Christophe arrive et decouvre avec surprise tout ce monde. "Desole de vous avoir fait monter pour rien." "Oh, l'essentiel est que tout aille bien." Les radios crepitent et ceux d'en haut confirment a ceux d'en bas qu'il n'y a plus personne dans la face, que tout va bien et que c'est l'heure de la redescente.

Christophe et moi sommes un peu genes... On a fait lever ou pas coucher ces mecs qui viennent de Vence, de Cagnes, de Grasse et de Saint-Laurent. Mais eux sont tres sympas, zens. "On aura fait une jolie balade sous la pleine lune." Oui... Il faut que l'on descende avec eux jusqu'au parking parce que les CRS nous attendent. Ah, parce qu'il y a aussi les CRS...

Descente et discussions conviviales. Ca parle de canyons, de GRIMP, du statut et des revendications des pompiers, de grimpe. On arrive a une premiere voiture. Nous, on prend la seconde. Parking. Il y a la, entre autres, quatre CRS. Ils viennent de loin. De Saint-Martin-de-Vesubie, a plus d'une heure ! Normal, le secours montagne 06 est installe la-bas. Putain, quel bordel... Le chef nous sermone, gentiment, et nous dit que nous aurions pu avec nos portables (on en avait deux...) appeler le 112 quand on a vu les girophares. Premier appel d'un inconnu pour nous signaler a 21h30 ! Genes bien evidemment, on se fait petit. Mais eux aussi sont tout aussi sympas. Ils prennent nos noms et on se quitte. Il est 2h du matin. "A une prochaine fois sur une paroi." me lance le CRS. Et il rajoute illico, "Mais de jour cette fois !"

Bilan des courses. On a du mobiliser a l'insu de notre plein gre dans les 15 personnes et 5 ou 6 vehicules. Mais on s'est bien amuse dans cette voie. Grimper de nuit est genial. Les prochaines etapes : une voie de nuit au Verdon, une voie une nuit sans lune, et enfin une voie a vue !

Mais dans tous les cas maintenant, meme si c'est dans le desert, j'appelerai le 112 pour prevenir. L'escalde de nuit n'est pas interdite. Mais en zone urbaine, les ames bien intentionnees pourraient vous jouer des tours... Les quelques photos sont (dur de faire des photos...)